Homélie du 7e dimanche du temps ordinaire

24 février 2019

Nous l’entendions dans la seconde lecture : « Comme Adam est fait d’argile, ainsi les hommes sont faits d’argile ; comme le Christ est du ciel, ainsi les hommes seront du ciel. » Quand Saint Paul écrit aux Corinthiens il a tout compris. (15, 48)

Nous sommes d’argile, ça c’est sûr, dans le sens où nous sommes loin d’être des saints. Et nous serons du ciel, dans le sens où tout sera accompli au jour de notre passage par la mort. Nous sommes déjà du ciel de par notre baptême, mais n’oublions jamais que nous sommes tout aussi d’argile.

Dans un éditorial du journal La Croix, (vous le trouverez en son entier à la suite de cette homélie), Guillaume Goubert titrait : Le trésor et l’argile. Il notait :

À l’heure où l’Église catholique traverse une crise d’ampleur historique, il faut toujours garder à l’esprit un court verset de la deuxième Lettre de saint Paul aux Corinthiens : « ce trésor, nous le portons comme dans des vases d’argile » (4,7). Et il ajoute : Comment mieux le dire ? L’Église porte une Bonne Nouvelle qui est au-delà de toutes nos fragilités, de toutes nos faiblesses humaines. Si le message d’amour et de vie porté par l’Évangile ne dépendait que des hommes, tout ce serait écroulé depuis longtemps par toutes les turpitudes et les lâchetés de ceux qui étaient censés l’annoncer.

Ces lâchetés se révèlent aujourd’hui au grand jour. Le pape François dans sa lettre parlait d’abus sexuels, d’abus de pouvoir et d’abus de conscience.
Un dominicain, le Père Gilles Berceville va encore plus loin peut-être : tout cela révèle quelque chose de plus profond : l’abus spirituel.

Il y a beaucoup de pharisiens dans notre Église. Comme les pharisiens et les sadducéens du temps de Jésus, au lieu de servir l’Évangile, ils sont tentés de s’en servir, ils voudraient faire la leçon a beaucoup sous couvert d’Évangile.

Je me souviens, elle s’appelait Pauline. Au lycée nous préparions son baptême, tout prenait forme, la date était même arrêtée avec les parents et les copines. Pauline avait un esprit fragile mais on la connaissait bien. Après les vacances de Noël, nous la retrouvons au lycée et elle nous dit : « Je ne vais pas me faire baptiser ici »… et elle nous dit avoir rencontré un petit groupe pendant les vacances. Trois jours de prière pour passer d’une année à l’autre. Pour elle s’était formidable, un accueil comme elle n’avait jamais connu, des temps de prière extraordinaire. Et ce petit groupe allait s’occuper de tout et donc de son baptême. Aujourd’hui je peux dire un abus de pouvoir, un abus de conscience, un abus spirituel de la part de ce petit groupe. Et tout s’est très mal terminé pour Pauline.

Un moine bénédictin savait dire : Les communautés chrétiennes sont actuellement traversées par un grand malaise. La question la plus importante qui se pose à l’Église n’est pas qui se trouve derrière les scandales, mais ce que ces scandales révèlent de sa manière d’être. Notre manière d’être ! ! !

Je crois que nous avons oublié l’un des gestes les plus prophétiques de Jésus : le lavement des pieds. Remettre l’Évangile au centre de la vie de l’Église, au centre de nos vies, c’est le faire avec beaucoup d’humilité en ayant sans cesse l’attitude du serviteur. Nous en sommes aujourd’hui encore trop loin.

« Comme Adam est fait d’argile, ainsi les hommes sont faits d’argile ;
comme le Christ est du ciel, ainsi les hommes seront du ciel.
 » Oui, les baptisés seront disciples-missionnaires à la condition de retrouver humilité et service.

AMEN


Mes sources : les quatre textes ci-dessous

Éditorial de Guillaume Goubert, La Croix, jeudi 21 février 2019

Le trésor et l’argile

À l’heure où l’Église catholique traverse une crise d’ampleur historique, il faut toujours garder à l’esprit un court verset de la deuxième Lettre de saint Paul aux Corinthiens : « ce trésor, nous le portons comme dans des vases d’argile » (4,7). Comment mieux le dire ? L’Église porte une Bonne Nouvelle qui est au-delà de toutes nos fragilités, de toutes nos faiblesses humaines. Si le message d’amour et de vie porté par l’Évangile ne dépendait que des hommes, il aurait été balayé depuis longtemps par toutes les turpitudes et les lâchetés de ceux qui étaient censés l’annoncer, qu’il s’agisse de la Rome des Borgia, des compromissions avec les puissants ou de la crise présente liée aux abus sexuels.

Cela ne veut pas dire que tout finira bien, qu’il ne faut pas s’inquiéter. Dieu a besoin des hommes. Le théologien suisse Maurice Zundel l’a dit magnifiquement dans un texte de 1964 : « il n’est pas un instant où notre absence, notre indifférence ne mettent en péril la vie de Dieu dans l’histoire ». Ceux qui croient au Christ ont le devoir d’agir, avec courage et ténacité, afin de retrouver, selon l’Évangile de saint Jean, « le chemin, la vérité et la vie ». Ne cherchons pas d’échappatoire en dénonçant l’hostilité du monde environnant, aussi réelle puisse-t-elle être. Laissons le temps de la justice. Mais si les chrétiens ne luttent pas contre le mal et le mensonge qui sont en eux, la division et la mort auront le dernier mot.

Nous pouvons résister au désespoir. Commentant dans l’hebdomadaire The Tablet la situation présente, le dominicain anglais Timothy Radcliffe écrit : « Aussi douloureux que soit ce moment, nous pouvons le vivre avec foi dans le Seigneur qui n’abandonne jamais son Église, et nous ne devons donc pas l’abandonner nous non plus. » Nous sommes cette Église, faite de pécheurs et de saints.


Du pape FRANÇOIS Vatican, le 20 août 2018.

« Si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui » (1 Cor 12,26).
Ces paroles de saint Paul résonnent avec force en mon cœur alors que je constate, une fois encore, la souffrance vécue par de nombreux mineurs à cause d’abus sexuels, d’abus de pouvoir et de conscience, commis par un nombre important de clercs et de personnes consacrées. Un crime qui génère de profondes blessures faites de douleur et d’impuissance, en premier lieu chez les victimes, mais aussi chez leurs proches et dans toute la communauté, qu’elle soit composée de croyants ou d’incroyants. Considérant le passé, ce que l’on peut faire pour demander pardon et réparation du dommage causé ne sera jamais suffisant. Considérant l’avenir, rien ne doit être négligé pour promouvoir une culture capable non seulement de faire en sorte que de telles situations ne se reproduisent pas mais encore que celles-ci ne puissent trouver de terrains propices pour être dissimulées et perpétuées. La douleur des victimes et de leurs familles est aussi notre douleur ; pour cette raison, il est urgent de réaffirmer une fois encore notre engagement pour garantir la protection des mineurs et des adultes vulnérables.

1. Si un membre souffre

Ces derniers jours est paru un rapport détaillant le vécu d’au moins mille personnes qui ont été victimes d’abus sexuel, d’abus de pouvoir et de conscience, perpétrés par des prêtres pendant à peu près soixante-dix ans. Bien qu’on puisse dire que la majorité des cas appartient au passé, la douleur de nombre de ces victimes nous est parvenue au cours du temps et nous pouvons constater que les blessures infligées ne disparaissent jamais, ce qui nous oblige à condamner avec force ces atrocités et à redoubler d’efforts pour éradiquer cette culture de mort, les blessures ne connaissent jamais de « prescription ». La douleur de ces victimes est une plainte qui monte vers le ciel, qui pénètre jusqu’à l’âme et qui, durant trop longtemps, a été ignorée, silencieuse ou passé sous silence. Mais leur cri a été plus fort que toutes les mesures qui ont entendu le réprimer ou bien qui, en même temps, prétendaient le faire cesser en prenant des décisions qui en augmentaient la gravité jusqu’à tomber dans la complicité. Un cri qui fut entendu par le Seigneur en nous montrant une fois encore de quel côté il veut se tenir. Le Cantique de Marie ne dit pas autre chose et comme un arrière-fond, continue à parcourir l’histoire parce que le Seigneur se souvient de la promesse faite à nos pères : « Il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides » (Lc 1, 51-53) ; et nous ressentons de la honte lorsque nous constatons que notre style de vie a démenti et dément ce que notre voix proclame.

Avec honte et repentir, en tant que communauté ecclésiale, nous reconnaissons que nous n’avons pas su être là où nous le devions, que nous n’avons pas agi en temps voulu en reconnaissant l’ampleur et la gravité du dommage qui était infligé à tant de vies. Nous avons négligé et abandonné les petits. Je fais miennes les paroles de l’alors cardinal Ratzinger lorsque, durant le Chemin de Croix écrit pour le Vendredi Saint de 2005, il s’unit au cri de douleur de tant de victimes en disant avec force : « Que de souillures dans l’Église, et particulièrement parmi ceux qui, dans le sacerdoce, devraient lui appartenir totalement ! Combien d’orgueil et d’autosuffisance ! […] La trahison des disciples, la réception indigne de son Corps et de son Sang sont certainement les plus grandes souffrances du Rédempteur, celles qui lui transpercent le cœur. Il ne nous reste plus qu’à lui adresser, du plus profond de notre âme, ce cri : Kyrie, eleison – Seigneur, sauve-nous (cf. Mt 8, 25) » (Neuvième Station).

2. Tous les membres souffrent avec lui

L’ampleur et la gravité des faits exigent que nous réagissions de manière globale et communautaire. S’il est important et nécessaire pour tout chemin de conversion de prendre connaissance de ce qui s’est passé, cela n’est pourtant pas suffisant. Aujourd’hui nous avons à relever le défi en tant que peuple de Dieu d’assumer la douleur de nos frères blessés dans leur chair et dans leur esprit. Si par le passé l’omission a pu être tenue pour une forme de réponse, nous voulons aujourd’hui que la solidarité, entendue dans son acception plus profonde et exigeante, caractérise notre façon de bâtir le présent et l’avenir, en un espace où les conflits, les tensions et surtout les victimes de tout type d’abus puissent trouver une main tendue qui les protège et les sauve de leur douleur (Cf. Exhort. ap. Evangelii Gaudium, n. 228). Cette solidarité à son tour exige de nous que nous dénoncions tout ce qui met en péril l’intégrité de toute personne. Solidarité qui demande de lutter contre tout type de corruption, spécialement la corruption spirituelle, « car il s’agit d’un aveuglement confortable et autosuffisant où tout finit par sembler licite : la tromperie, la calomnie, l’égoïsme et d’autres formes subtiles d’autoréférentialité, puisque « Satan lui-même se déguise en ange de lumière » (2Co 11,14) » (Exhort. ap. Gaudete et Exsultate, n. 165). L’appel de saint Paul à souffrir avec celui qui souffre est le meilleur remède contre toute volonté de continuer à reproduire entre nous les paroles de Caïn : « Est-ce que je suis, moi, le gardien de mon frère ? » (Gn 4,9).

Je suis conscient de l’effort et du travail réalisés en différentes parties du monde pour garantir et créer les médiations nécessaires pour apporter sécurité et protéger l’intégrité des mineurs et des adultes vulnérables, ainsi que de la mise en œuvre de la tolérance zéro et des façons de rendre compte de la part de tous ceux qui commettent ou dissimulent ces délits. Nous avons tardé dans l’application de ces mesures et sanctions si nécessaires, mais j’ai la conviction qu’elles aideront à garantir une plus grande culture de la protection pour le présent et l’avenir.

Conjointement à ces efforts, il est nécessaire que chaque baptisé se sente engagé dans la transformation ecclésiale et sociale dont nous avons tant besoin. Une telle transformation nécessite la conversion personnelle et communautaire et nous pousse à regarder dans la même direction que celle indiquée par le Seigneur. Ainsi saint Jean-Paul II se plaisait à dire : « Si nous sommes vraiment repartis de la contemplation du Christ, nous devrons savoir le découvrir surtout dans le visage de ceux auxquels il a voulu lui-même s’identifier » (Lett. ap. Novo Millenio Ineunte, n. 49). Apprendre à regarder dans la même direction que le Seigneur, à être là où le Seigneur désire que nous soyons, à convertir notre cœur en sa présence. Pour cela, la prière et la pénitence nous aideront. J’invite tout le saint peuple fidèle de Dieu à l’exercice pénitentiel de la prière et du jeûne, conformément au commandement du Seigneur (1), pour réveiller notre conscience, notre solidarité et notre engagement en faveur d’une culture de la protection et du « jamais plus » à tout type et forme d’abus.

Il est impossible d’imaginer une conversion de l’agir ecclésial sans la participation active de toutes les composantes du peuple de Dieu. Plus encore, chaque fois que nous avons tenté de supplanter, de faire taire, d’ignorer, de réduire le peuple de Dieu à de petites élites, nous avons construit des communautés, des projets, des choix théologiques, des spiritualités et des structures sans racine, sans mémoire, sans visage, sans corps et, en définitive, sans vie (2). Cela se manifeste clairement dans une manière déviante de concevoir l’autorité dans l’Église – si commune dans nombre de communautés dans lesquelles se sont vérifiés des abus sexuels, des abus de pouvoir et de conscience – comme l’est le cléricalisme, cette attitude qui « annule non seulement la personnalité des chrétiens, mais tend également à diminuer et à sous-évaluer la grâce baptismale que l’Esprit Saint a placée dans le cœur de notre peuple » (3). Le cléricalisme, favorisé par les prêtres eux-mêmes ou par les laïcs, engendre une scission dans le corps ecclésial qui encourage et aide à perpétuer beaucoup des maux que nous dénonçons aujourd’hui. Dire non aux abus, c’est dire non, de façon catégorique, à toute forme de cléricalisme.

Il est toujours bon de rappeler que le Seigneur, « dans l’histoire du salut, a sauvé un peuple. Il n’y a pas d’identité pleine sans l’appartenance à un peuple. C’est pourquoi personne n’est sauvé seul, en tant qu’individu isolé, mais Dieu nous attire en prenant en compte la trame complexe des relations interpersonnelles qui s’établissent dans la communauté humaine : Dieu a voulu entrer dans une dynamique populaire, dans la dynamique d’un peuple » (Exhort. ap. Gaudete et Exsultate, n. 6). Ainsi, le seul chemin que nous ayons pour répondre à ce mal qui a gâché tant de vies est celui d’un devoir qui mobilise chacun et appartient à tous comme peuple de Dieu. Cette conscience de nous sentir membre d’un peuple et d’une histoire commune nous permettra de reconnaître nos péchés et nos erreurs du passé avec une ouverture pénitentielle susceptible de nous laisser renouveler de l’intérieur.

Tout ce qui se fait pour éradiquer la culture de l’abus dans nos communautés sans la participation active de tous les membres de l’Église ne réussira pas à créer les dynamiques nécessaires pour obtenir une saine et effective transformation. La dimension pénitentielle du jeûne et de la prière nous aidera en tant que peuple de Dieu à nous mettre face au Seigneur et face à nos frères blessés, comme des pécheurs implorant le pardon et la grâce de la honte et de la conversion, et ainsi à élaborer des actions qui produisent des dynamismes en syntonie avec l’Évangile. Car « chaque fois que nous cherchons à revenir à la source pour récupérer la fraîcheur originale de l’Évangile, surgissent de nouvelles voies, des méthodes créatives, d’autres formes d’expression, des signes plus éloquents, des paroles chargées de sens renouvelé pour le monde d’aujourd’hui » (Exhort. ap. Evangelii Gaudium, n. 11).

Il est essentiel que, comme Église, nous puissions reconnaître et condamner avec douleur et honte les atrocités commises par des personnes consacrées, par des membres du clergé, mais aussi par tous ceux qui ont la mission de veiller sur les plus vulnérables et de les protéger. Demandons pardon pour nos propres péchés et pour ceux des autres. La conscience du péché nous aide à reconnaître les erreurs, les méfaits et les blessures générés dans le passé et nous donne de nous ouvrir et de nous engager davantage pour le présent sur le chemin d’une conversion renouvelée.

En même temps, la pénitence et la prière nous aideront à sensibiliser nos yeux et notre cœur à la souffrance de l’autre et à vaincre l’appétit de domination et de possession, très souvent à l’origine de ces maux. Que le jeûne et la prière ouvrent nos oreilles à la douleur silencieuse des enfants, des jeunes et des personnes handicapées. Que le jeûne nous donne faim et soif de justice et nous pousse à marcher dans la vérité en soutenant toutes les médiations judiciaires qui sont nécessaires. Un jeûne qui nous secoue et nous fasse nous engager dans la vérité et dans la charité envers tous les hommes de bonne volonté et envers la société en général, afin de lutter contre tout type d’abus sexuel, d’abus de pouvoir et de conscience.

De cette façon, nous pourrons rendre transparente la vocation à laquelle nous avons été appelés d’être « le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (Conc. Œcum. Vat.II, Lumen Gentium, n. 1).

« Si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui », nous disait saint Paul. Au moyen de la prière et de la pénitence, nous pourrons entrer en syntonie personnelle et communautaire avec cette exhortation afin que grandisse parmi nous le don de la compassion, de la justice, de la prévention et de la réparation. Marie a su se tenir au pied de la croix de son fils. Elle ne l’a pas fait de n’importe quelle manière mais bien en se tenant fermement debout et à son coté. Par cette attitude, elle exprime sa façon de se tenir dans la vie. Lorsque nous faisons l’expérience de la désolation que nous causent ces plaies ecclésiales, avec Marie il nous est bon « de donner plus de temps à la prière » (S. Ignace de Loyola, Exercices spirituels, 319), cherchant à grandir davantage dans l’amour et la fidélité à l’Église. Elle, la première disciple, montre à nous tous qui sommes disciples comment nous devons nous comporter face à la souffrance de l’innocent, sans fuir et sans pusillanimité. Contempler Marie c’est apprendre à découvrir où et comment le disciple du Christ doit se tenir.

Que l’Esprit Saint nous donne la grâce de la conversion et l’onction intérieure pour pouvoir exprimer, devant ces crimes d’abus, notre compassion et notre décision de lutter avec courage.

Du Vatican, le 20 août 2018.
FRANÇOIS

1
« Mais cette sorte de démons ne se chasse que par la prière et par le jeûne » (Mt 17,21).
2
Cf. Lettre au peuple de Dieu en marche au Chili, 31 mai 2018.
3
Lettre au Cardinal Marc Ouellet, Président de la Commission Pontificale pour l’Amérique Latine, 19 mars 2016.


La Croix, jeudi 25 octobre 2018

« Renoncer à toute forme de cléricalisme »
Fr. Michael Davide Semeraro, moine bénédictin

Les communautés chrétiennes sont actuellement traversées par un grand malaise. La question la plus importante qui se pose à l’Église n’est pas qui se trouve derrière les scandales, mais ce que ces scandales – en particulier les abus sur mineurs – révèlent de sa manière d’être. De fait, l’Église est contrainte non seulement de chercher un remède aux comportements inappropriés de ses prêtres, mais aussi de s’interroger sur les raisons profondes qui les ont rendus possibles. La « tolérance zéro » ne suffit pas si elle n’est pas étayée par la volonté radicale de revoir nos modes de fonctionnement au sein de l’Église, notamment en ce qui concerne l’exercice des ministères ordonnés.

L’Église a encouru le risque de fonctionner davantage comme une institution religieuse que comme une communauté de foi. Ce qui est très ambigu, c’est qu’elle a fait entrer par la fenêtre ce que l’Évangile avait fait sortir par la porte : le caractère sacré. Tout ce que nous vivons aujourd’hui met en lumière les conséquences amères d’une sacralisation de certaines fonctions ecclésiales qui, en réalité, sont et restent des services. L’identification entre le ministère au service de la vie d’une communauté et l’identité personnelle du ministre ordonné a créé toute une série d’abus qui, avant d’être des crimes, sont en réalité une posture qui contraste avec l’Évangile, bien qu’elle soit profondément « religieuse ».

Aussi l’Église se retrouve-t-elle à payer aujourd’hui les conséquences amères d’une reprise du fonctionnement religieux et sacré. Ce fonctionnement a créé une caste – la caste cléricale –, qui ne concerne pas seulement les clercs, mais aussi les laïcs cléricaux. Comme les pharisiens et les sadducéens du temps de Jésus, cette caste, au lieu de servir l’Évangile, est tentée de s’en servir.
Au fond, si l’on y réfléchit, l’Évangile, avec ses exigences de liberté, d’égalité et de fraternité universelle, est la ruine de l’Église. S’il n’y avait pas l’Évangile, tout pourrait continuer à fonctionner comme toujours. Mais l’Évangile impose une conversion qui passe par la réception des critiques de l’extérieur. Celles-ci doivent être au fondement d’un repositionnement sérieux et généreux des communautés chrétiennes. Remettre l’Évangile au centre de la vie de l’Église, c’est reconnaître une erreur fondamentale : celle d’avoir atténué l’appel provocant à être une communauté de frères au service de l’humanité, et non une « religio » comme les autres. Ce qui fait la différence, ce n’est pas le bagage dogmatique ou rituel ; c’est la posture qui consiste à renoncer à tout privilège découlant de la revendication d’une investiture venue d’en haut, pour privilégier au contraire la relation à l’autre, qui va jusqu’à se mettre à ses pieds pour le servir.

Que faisons-nous réellement pour renoncer à toute forme de cléricalisme et, même, de machisme ? Tant que nous ne renoncerons pas à l’abus d’exclusivisme et d’exclusion, il sera très difficile de guérir de la maladie qui génère des abus sexuels, de pouvoir et de conscience. Une Église qui repart de l’Évangile est une Église dépouillée d’elle-même, qui renonce à créer des castes exclusives s’arrogeant le droit d’exclure les autres au nom d’une vocation et d’une investiture venue d’en haut. Celle-ci, en réalité, ne peut venir que d’en bas. Les événements et, surtout, l’intelligence plus grande que nous avons de l’Évangile exigent que l’on ne tombe pas dans la logique du rapiéçage (Marc 2,21), mais de nous lancer au contraire joyeusement vers l’horizon de la refondation. Tout cela ne peut se produire que si nous acceptons d’abord de relativiser toute une série d’institutions et de fonctionnements qui, s’ils ont été utiles – du moins en partie – jusqu’à aujourd’hui, ne sont probablement plus adaptés.

Deux éléments sont non seulement urgents, mais aussi révélateurs du désir bien réel de passer de la nostalgie de nous-mêmes à la nostalgie du Royaume de Dieu qui vient nous déstabiliser : le rôle de la femme dans la vie de l’Église et le passage d’une théologie de la mortification à une théologie du plaisir. Dans les deux cas, la manière de concevoir la sexualité, comme le signe de notre manière de nous sentir humains et d’entrer en relation, est la clé de voûte d’une volonté – ou non – d’assumer les changements anthropologiques actuels non comme une menace, mais comme une opportunité.

Il ne s’agit pas de relativiser de manière idéologique le célibat des prêtres ou la chasteté des consacrés, mais de les replacer dans la bonté radicale et totale de notre humanité. Sans exaltation inutile – et parfois dommageable –, du renoncement que ce célibat suppose, comme source d’excellence. Cela nous permettra de vivre de la même manière qu’auparavant – le célibat notamment – mais avec une liberté et une responsabilité qui, au moins en partie, doivent encore être construites, pour être non seulement vivables de l’intérieur, mais également lisibles de l’extérieur.


La Croix, jeudi 21 février 201

Pour le dominicain Gilles Berceville, qui enseigne la théologie spirituelle à l’Institut catholique de Paris, la crise actuelle doit amener à réfléchir à l’abus spirituel.

Dans sa Lettre au peuple de Dieu, le pape lie abus sexuels, abus de pouvoir et abus de conscience. Comment l’expliquez-vous ?
Père Gilles Berceville : Il ne faudrait pas réduire ces abus à des agressions sexuelles. L’agression commise par un prêtre n’est pas uniquement sexuelle. Elle est souvent le symptôme qui révèle quelque chose de plus profond : l’abus spirituel.

Comment le définir et pourquoi est-il si grave ?
P. G. B. : C’est une forme très spécifique d’abus de conscience car il est exercé par une personne ayant autorité morale ou religieuse. Lorsque l’abuseur agit au nom d’un principe absolu, que la personne maltraitée elle-même reconnaît comme absolu (Dieu, l’Amour…), il vient ébranler les fondamentaux mêmes de la psyché. Ce qui structure l’esprit humain, lui donne sa cohérence et lui permet de se confier est atteint. Or, sans confiance, on est mort, comme l’enseigne saint François de Sales.

Voulez-vous dire que la confiance est au fondement même de l’être humain et que cette confiance de fond est atteinte dans l’abus spirituel ?
P. G. B.
 : Oui, l’être humain naît en situation de dépendance. Le consentement à la vie suppose la confiance. Il suppose que l’on croie à la « promesse de l’aube ». Or l’abuseur vient toucher à cet intime de l’intime, à «  la fine pointe de l’âme » qui est le lieu de la confiance et de la foi, comme le dit encore saint François de Sales.

Le père Stéphane Joulain l’a rappelé dans sa récente audition au Sénat : les croyants sont structurés de telle manière qu’ils pensent que l’existence a un sens, que le monde est bon et que les gens à leur égard sont bienveillants. En un mot, ce sont des gens qui font confiance.

Or, le prêtre abuseur détourne les fondamentaux de la confiance à son propre usage. C’est la pire des manipulations, l’emprise spirituelle : prendre la place de Dieu dans l’esprit de l’autre, se saisir de sa foi. Lorsque la personne s’en rend compte, c’est un choc terrible parce qu’elle ne sait plus à qui ou à quoi se fier. Or c’est la grande question à laquelle les religions prétendent répondre : nous dire ce qui est digne de notre foi. La souffrance causée par l’abus spirituel est l’une des causes les plus importantes de l’athéisme.

C’est pour cela que la crise des autorités que nous traversons semble sans précédent, parce qu’elle est mondialisée. Même si on n’a pas soi-même été victime d’un abuseur ou subi un système abusif, lorsque les autorités morales ou religieuses s’avèrent défaillantes, la confiance est mise à l’épreuve. Bien sûr, chacun est appelé à regarder au-delà des personnes ayant autorité pour se référer à l’instance ultime, non pas le pape et les évêques par exemple, mais Dieu. Tous cependant n’ont pas les moyens de le faire. Dans cette crise, comment les gens peuvent-ils donc vivre la confiance ?

Est-ce pour cela que l’Église a tant peur du scandale, qui peut ébranler la foi des fidèles ?
P. G. B. 
 : Il faut toujours se demander de quoi nous parlons lorsque nous disons « l’Église ». Entendons par là « le peuple de Dieu », comme le pape nous y invite. Mais je ne crois pas que lorsqu’un supérieur couvre un prêtre abuseur, son problème soit vraiment les fidèles. Si c’était vraiment leur souffrance qui était première, il n’y aurait pas eu ces scandales. Lorsque j’ai lu la lettre de François au peuple de Dieu, j’ai enfin respiré car ses premières paroles sont pour « la souffrance vécue par de nombreux mineurs à cause d’abus sexuels, d’abus de pouvoir, d’abus de conscience commis par un nombre important de clercs ». Il est enfin question d’eux.

Y aurait-il abus spirituel dès lors que l’Église voudrait imposer sa vérité à la conscience de l’autre ?
P. G. B. 
 : Oui, si on l’empêche d’exercer sa conscience. C’est-à-dire de s’interroger librement sur ce qu’il est bon de faire. Il ne faut pas confondre autorité et pouvoir. L’abus spirituel est toujours un abus de pouvoir. On peut exercer un abus de pouvoir sans avoir d’autorité : celui qui détourne un avion a un pouvoir sur les otages mais aucune autorité sur eux. À l’inverse, une personne ayant autorité morale ou religieuse peut avoir très peu de pouvoir coercitif ; et c’est tant mieux dans l’Église, car le service de l’autorité se doit de respecter la liberté de l’autre. L’autorité a pour vocation d’aider les personnes à référer leur existence à ce qu’elles reconnaissent elles-mêmes comme bon. Bien sûr, il faut éclairer les consciences. La liberté religieuse n’est pas absolue au sens que je ne peux croire à n’importe quoi ; j’ai un devoir de chercher la vérité et de m’y conformer. Mais le service de l’autorité est toujours au service de l’autre, dans le plus grand respect de sa conscience.

L’abus spirituel ne s’enracine-t-il pas, précisément, dans un déni d’altérité ?
P. G. B. 
 : Si, tout à fait. L’Église parle au nom de Dieu, et elle est là pour le faire. Mais c’est aussi pour cela qu’elle doit garder le sens de la sainteté de Dieu, c’est-à-dire de son altérité. Garder à la conscience que Dieu est autre. Surtout quand on pense défendre sa cause, ou ses commandements… La tentation est immense de s’accaparer Dieu. Parce que nous nous référons à Jésus, qui a dit : « Je suis la vérité », l’Église a l’énorme prétention de servir l’absolu. Mais si cet absolu qui s’est incarné, nous ne le présentons pas comme humilité, pauvreté radicales, alors nous sommes des grands abuseurs.

Recueilli par Céline Hoyeau
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