Homélie du 24e dimanche du Temps Ordinaire
13 septembre 2020
Sagesse 28,1-7, St Paul aux Romains 14,7-9, Matthieu 18,21-35
L’évangile de ce jour sur la nécessité du pardon est clair ; même si ce geste reste l’un des plus difficiles humainement. D’où l’appel de la prière, l’appel à la force de l’Esprit Saint, si nous voulons avancer un tant soit peu sur ce chemin. Mais encore une fois l’exigence est claire, aussi je n’y insiste pas.
Je voudrais plutôt revenir sur la deuxième lecture, la lettre de St Paul aux Romains : Aucun d’entre nous ne vit pour soi-même ; et si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur.
La première phrase est de l’ordre du constat qui peut être partagé avec toutes les personnes de bonne volonté : « aucun d’entre nous ne vit pour soi-même ». Malgré notre égoïsme souvent encombrant, nous vivons entourés de relations, de parents, d’amis, de voisins, de collègues de travail, de paroissiens. Baptisés ou non, croyants ou non, avec eux, nous collaborons, nous nous entraidons, nous partageons ; et pour les plus proches, nous nous aimons, nous portons le souci les uns des autres. Encore une fois, et quoi qu’il en soit de notre tendance à tout rapporter à nous-mêmes, aucun d’entre nous ne vit simplement et uniquement pour soi. Nous vivons pour et avec les autres et c’est un bien, et c’est heureux.
La deuxième phrase est de l’ordre de l’affirmation de foi : « Si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur » dit St Paul. Arrêtons-nous un instant et posons-nous la question : Est-ce que je peux dire cela spontanément ? Pourquoi je vis ? - Réponse : « Je vis pour le Seigneur ? »
Autant nous pouvons dire : « Je vis pour mes enfants ; je vis pour réussir ma vie ; je vis pour découvrir le monde... enfin toutes sortes de projets » … autant dire « Je vis pour le Seigneur... » semble réservé à l’élite des moines et des moniales. Et pourtant St Paul s’adresse à tous. Alors comment cette affirmation : « Je vis pour le Seigneur » peut-elle imprégner nos propres vies ?
Car elle est bien là notre originalité de chrétiens : mettre en œuvre l’étroite solidarité qui unit la première phrase de Paul « Aucun d’entre nous ne vit pour lui-même » et la deuxième : « Nous vivons pour le Seigneur… le Seigneur des morts et des vivants. »
Pour nous, l’un ne doit pas aller sans l’autre. C’est d’un même mouvement que nous devons vivre pour les autres et vivre pour Dieu.
Revenons alors, quoi que j’en ai dit au début (!), sur cette expérience humaine si difficile du pardon. Il n’y a pas de meilleur exemple pour illustrer le lien indéfectible entre vivre pour le Seigneur et vivre pour les autres.
1 – Dans la parabole, le roi, le Père de Jésus, a une puissance de pardon illimitée : celui qui devait dix mille talents, c’est-à-dire soixante millions de journées de travail, et qui, en plus, fait une « promesse d’ivrogne », car il est bien incapable de rembourser, celui-là est quand même pardonné. Donc si nous faisons seulement un mouvement de retour vers Dieu, sa puissance de tendresse est infinie, comparable au Père du fils prodigue qui court à sa rencontre et le ré-introduit dans sa maison sans même entendre son discours de repentance.
2 – Mais en retour, il ne faut pas que nous soyons ingrats comme ce même individu ! La parabole donne un rapport de 600 000 pour un. Cela doit être à notre portée...
Encore que... pour nous, pardonner l’équivalent d’une dette de 100 journées de travail, ce n’est peut-être pas rien ? Qui parmi nous est capable de passer sur une conflit mettant en jeu 5 000 euros ? Ou l’équivalent en terme de blessure, d’humiliation ?... dans une transaction ? Un héritage ?
Et pourtant Dieu nous demande, et il nous en donne la capacité, de pardonner du fond du cœur, comme le conclut la parabole. Mais pour cela, que faut-il demander dans notre prière ? Revenons sur deux attitudes dénoncées dans la première lecture : la colère et la rancune.
Dans la prière, mettons tout d’abord à distance la colère que nous avions pourtant crue bien légitime face à l’injustice dont nous avons été victime. Mettons-là à distance... Ne prononçons pas le mot de trop ! Différons une réponse sur internet, sur les messageries. Et puis, toujours dans la prière, faisons reculer la rancune, c’est-à-dire le ressassement de notre plainte, le ressentiment et même notre souffrance... pour que, dans la prière toujours, nous puissions pardonner du fond du cœur.
J’ajoute qu’il faut distinguer la pardon du fond du cœur qui ne relève que de moi-même et de Dieu, et la réconciliation pour laquelle il faut bien sûr être deux et sur laquelle je n’ai pas de prise... encore que elle sera grandement facilitée bien sûr quand je suis moi-même engagé dans la démarche de pardon du fond du cœur.
C’est d’un même mouvement que nous vivons pour les autres et que nous vivons pour Dieu. Sans pour autant nous comparer à Dieu. Gardons en mémoire ce rapport de un pour 600 000. Et quelles soient les situations, nous pourrons toujours dire en vérité : Pardonnes-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. Il ne s’agit pas de nous comparer à Dieu, mais de puiser à la Source la force du pardon nécessaire.
curé de Notre Dame en Chemillois